lundi 6 décembre 2010

Âmes insensibles s'abstenir

Il est 19h54. Je rentre chez moi, la maison est vide, il fait noir, il fait froid.

Oui, c’est une journée où on a super bien travaillé, les résultats sont sur le papier, et c’est gai de bosser avec des gens concernés. Et à 18h, j’ai refermé la porte du bureau, tout le monde était parti, et j’ai fait le trajet inverse, métro, train, maison. Clef dans la porte silence.

Oui, il y a eu une vraie bonne nouvelle, un de ces projets un peu fous qui d’un coup prend une crédibilité et une viabilité, récompense aussi d’un travail mené en bonne intelligence… C’est super. Chacun y va de son message de félicitation, et c’est très gentil, et ça me touche beaucoup. Mais là ce soir, je vais boire mon verre d’eau toute seule pour fêter ça.

Oui, il y a ces dix idées à la seconde, ces ressources multiples, et les amis qui appellent : T’as pas une idée pour mon bricolage ? Tu sais dépanner mon ordi ? Je peux te raconter ma réunion ? Tu peux me dire comment on fait les cakes au chocolat ? Ah oui, super merci keskonferaisantoa salut bonne soirée. Et ça me fait plaisir que vous m'appeliez pour vous aider. Et chaque fois, je réponds, gentille, sourire, et tout, parce que je me sens utile, je sens que je sers un peu à quelque chose.

Je suis UTILE, utile et c'est tout.

Je ne demande rien en retour, mais parfois, bordel, j’aimerais bien moi aussi appeler quelqu’un à l’aide pour un truc que je ne sais pas faire, j’aimerais bien avoir quelqu’un à qui raconter ma putain de journée de merde, j’aimerais bien après le boulot retrouver des êtres humains en chair et en os et pas toujours ces photos sur fond bleu et blanc, et ces sourires jaunes tous les mêmes, dans un monde où tout le monde sourit tout le temps pour ne pas montrer le vide, j'aimerais bien avoir quelqu'un qui me donne envie de rentrer chez moi, et qui a des choses à raconter, et envie de m'écouter, et pouvoir aussi déposer mes responsabilités, et ne pas avoir froid aux pieds dans le lit vide et...

Car nos vies sont vides. Enfin, ma vie est vide. Il n’y a pas de sens à tout cela, il n’y a rien de construit dans cette hyperactivité, qu’un masque pour combler le manque, la solitude, l'insatisfaction. Travailler, trop, bosser, sur tout et n’importe quoi, être toujours sourire, et toujours dispo, et toujours à répondre oui à chaque demande…Et je vacille...

EST – CE QUE QUELQU’UN S’EST DEMANDE

SI J’ALLAIS BIEN AUJOURD’HUI ?

Oui, en fait. Quelqu’un. Deux quelqu’un même. Deux quelqu’un qui ont pris leur ordi ou leur gsm– c’est mieux que rien, hein ?- pour m’envoyer qui un sourire, qui un vrai réconfort. Pourquoi ? Parce qu’ils vivent pareil. Et quand on vit pareil, on n’a pas besoin d’expliquer. Le vide après la journée dans la foule, on n'a pas besoin d'expliquer le froid, le noir, on n'a pas besoin d'expliquer la peur de crever seul dans son coin. Y'a pas besoin de partir dans le désert pour ça. Je peux crever ici, maintenant, dans cinq minutes. Vous n’en saurez rien avant samedi au moins. Ca fait peur ? Posez-vous donc la question… Qui est là s’il vous arrive un truc ? Et qui est là s'il m'arrive un truc, à moi ? Pourquoi est-ce que je ne quitte jamais mon téléphone ou mon ordi ? Parce que c’est mon seul lien avec le monde des vivants, les gars. Et oui.

Je sais, c’est moche ce que je raconte, c’est triste, et peut-être même que vous allez m’envoyer un message culpabilisé après, pour être sûr que je n’ai pas poussé le plongeon trop loin dans les abysses, Maurice.

Mais c’est la vie comme je la vois aujourd’hui… Une longue traversée du désert humain. Je crève de soif dans un monde où il n'y a qu'à manger.

Bien sûr, demain, ça ira mieux, et je n’y penserai plus.

Mais là, hein… J’ai pas envie de sourire.

J'ai juste envie, parfois, d'être inutile.

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