mardi 25 juin 2013

Où il est question d'Eurodisney, d'Astérix, et des voyages scolaires.

Ami lecteur, réjouis-toi... Car il me vient une cause à défendre, qui me semble juste. Elle ne l'est peut-être pas, et on peut en débattre... L'histoire que je vais te raconter est un symptôme, parmi d'autres, d'un monde qui perd un peu la boule.

Par choix, par facilité, par tradition familiale, mes enfants sont scolarisés dans l'enseignement officiel, lequel est censé être si pas gratuit, du moins prévu pour être accessible à tous. Cela fait 15 ans que mes enfants fréquentent cet établissement du centre ville,réseau public, de la Communauté française. Je ne suis pas sûre que cette école ait toutefois toujours bien compris sa mission.

Tu sais, ami lecteur, si tu viens souvent ici, que j'ai un travail, avec un salaire tout à fait correct, et le papa de mes enfants aussi. Notre mode de vie (divorce avec garde alternée) est plus coûteux qu'une vie "classique" de parents mariés n'ayant qu'un logement à payer, ce n'est pas facile tous les jours, mais nous ne sommes pas non plus dans la plus grande difficulté, et certainement pas les seuls dans ce cas.

Il y a un an, l'école proposait pour N°2, qui terminait sa 6e primaire, une excursion scolaire de 2 jours/1 nuit à Eurodisney, pour la modique somme de 175 euros.
J'ai réagi. Vertement. Il m'était tout simplement impossible de débourser une telle somme, d'autant que les vertus pédagogiques du projet me laissaient vraiment dubitative.  (Tu le vois, le projet démocratique et pédagogique ? Tu le vois bien ? Si tu ne le vois pas, il y a en bas de ce billet, copie du courrier que j'ai envoyé à la directrice, courrier qui détaille plutôt bien ma façon de penser.)
Je n'ai pas été la seule à me fâcher tout rouge. D'autres parents se sont exprimés, notamment dans la presse. Un politicien a eu vent de la chose, il y a eu question parlementaire, la ministre a diffusé une circulaire rappelant les objectifs et conditions des voyages scolaires, et tançant l'école pour son manque de discernement.
Pour comble d'humiliation, je peux le dire maintenant, un parent d'élève était venu me trouver, me proposant de payer le voyage de ma fille, par charité d'âme... Je ne doute pas des bonnes intentions de ce monsieur, mais cela ne levait en rien mon objection idéologique : non, l'école publique n'a pas à proposer des voyages scolaires à des prix pareils, et non, Eurodisney n'est pas du tout la destination idéale pour un voyage scolaire !
 Toujours est-il que toute la classe est quand même partie à Eurodisney, et que ma fille m'en veut toujours, un an après, de l'avoir privée de ce merveilleux voyage.

Pour information, la directrice n'a jamais pris la peine de répondre à mon courrier. Il a fallu que je prenne un rendez-vous et que j'aille la voir pour qu'elle réagisse. Regrettant , mais arguant que des promesses avaient été faites aux enfants par la directrice précédente pour justifier le maintien du voyage.

Fin du chapitre 1er. 

Ce jeudi 20 juin, N°3, qui termine sa 5e primaire, est revenue de l'école avec un courrier de la directrice - la même- proposant qu'en juin prochain, du 21 au 24 (compte pas, lecteur : ça fait 4 jours et 3 nuits), les enfants de 5e et 6e années partent à Poitiers, visiter un zoo, le Futuroscope, le Puy du Fou et le parc Astérix (...oui, oui, oui, tu as bien lu, LE PARC ASTERIX) pour la modique somme de
275 euros !
Mais que bien sûr, nous pouvions dés à présent échelonner nos paiements, et patati, et patata.

Je t'explique un peu plus ou tu as déjà compris ? J'ai pris mon clavier chéri, et ai écrit à la dame, le soir-même, soulevant que peut-être, sans doute, il y avait erreur et sur le prix, et sur la destination...  Et puis encore le lendemain, pour lui parler de la Belgique et des tarifs de la SNCB, moins chers qu'une location de car, du PASS de Mons, du Château de Bouillon, des Auberges de Jeunesse qui proposent des séjours pour les écoles à 150 euros les 5 jours et 4 nuits, activités, logement et repas compris.

Et tu sais quoi ?
N°3 m'en veut à mort de la priver de ce merveilleux voyage si démocratique et si pédagogique, (non mais le Parc Astérix, quoi). Et, cinq jours plus tard,  la directrice n'a toujours pas répondu à mon mail. Elle a toutefois déjà fait des remarques à ma fille... en soulignant que le Parc Astérix, ce n'était qu'un jour parmi les 4, et qu'elle ne comprenait vraiment pas pourquoi je rouspétais encore...

Et toi, lecteur, que ferais-tu à ma place ?

Si tu veux, dans le billet suivant, tu peux lire l'intégralité des courriers que j'ai écrits à l'école. 
Mais tu n'es pas obligé, n'est-ce pas ?


Courriers adressés à l'école

Courrier à la directrice, relatif au voyage à Eurodisney.

Namur, le 10 juin 2012.

Madame la Directrice,

Si vous saviez ce qu’il m’en coûte, Madame la direcrice, de dire non à ma fille.
Nous ne nous connaissons guère, et pourtant je côtoie xxxxxxx de Namur depuis 14 ans, maintenant.  Mon fils aîné, xxxxx, que  vous n’avez pas connu, est entré au lycée pendant l’année scolaire 98-99. Ses sœurs fréquentent actuellement encore votre établissement. A. est en 4e année, et B. en 6e. Tous ont participé au projet d’immersion, depuis sa création. J’ai rarement eu à me plaindre de l’enseignement qu’ils ont reçu, de grande qualité, tant humainement que scolairement. Mme X, Mme V., Monsieur F. font partie de ces enseignants qui donnent envie d’apprendre et marquent une vie…

Pourtant, je me dois de vous faire part de mon chagrin en tant que mère, et de ma stupéfaction, lorsque ma fille est arrivée un soir de mars, le 14 exactement, avec un document proposant comme voyage de fin d’année, que dis-je , de fin d’études primaires, deux jours à Eurodisney  pour la somme de 170 euros.

Vous ne savez pas ce qu’il m’en coûte de lui avoir dit non. Tout d’abord parce que c’est trop cher, tout simplement. Je gagne ma vie correctement : je gagne 1950 euros par mois. Etant divorcée avec garde alternée des enfants, j’ assume le loyer d’un logement pouvant les accueillir au quotidien, les charges et frais divers, cela me coûte environ 1200 euros par mois. Je ne reçois pas de pension alimentaire, puisque nous avons une garde alternée.  

Il me reste donc 750 euros pour nous nourrir, nous habiller, nous déplacer, et vivre, tout simplement. Je ne fais pas de dépense excessive. Je vis simplement, et j’essaie d’apprendre à mes enfants que l’on peut être heureux de la sorte. Je privilégie les fous rires aux cadeaux coûteux, et le plaisir d’un gâteau cuisiné ensemble à un fast-food que je ne peux leur offrir.  Mes enfants ne manquent de rien, nous avons juste assez pour vivre, et bien que conscients des privations, nous trouvions assez de bonheur dans nos vies pour ne pas être trop affectés par les restrictions.

Vous le savez, les divorces sont légions, l’exception désormais, c’est l’enfant qui a ses deux parents ensemble. Vous le savez, les loyers sont élevés, et la vie chère. Et je suis encore une privilégiée : j’ai un métier passionnant, un salaire correct, et un sens de la débrouille assez développé. Tous n’ont pas ces atouts. Sans doute que des dizaines d’enfants dans votre école sont dans la même situation que ma fille.

Les miens sont, par choix, scolarisés dans l’enseignement officiel, enseignement que l’on nous dit gratuit. Mais gratuit est relatif, nous le savons bien : frais scolaire, garderie…  D’ailleurs, savez-vous que mes filles ne la fréquentent quasi plus, sinon cela m’en coûtait 50 euros par mois ?

Les activités diverses que vous proposez, piscine, bibliothèque , cinéma,  sont essentielles. Le prix Versele aussi. Les billets de tombola et la marche parrainée où l’on me force à mettre la main au portefeuille encore et encore me sont beaucoup moins sympathique, mais soit, je peux comprendre, je fais l’effort.

Et puis, il y a les voyages scolaires. Passons sur le fait que « de mon temps », on partait en classes vertes ou en classes de neige une fois sur sa scolarité, et qu’on économisait toute l’année pour les financer. Ne tombons pas dans la pseudo nostalgie, même si elle n’est pas dénuée de bon sens.

L’an passé, il y a eu ce voyage en Espagne, qui nous a couté au final pas loin de 300 euros, entre l’argent de poche, les frais de voyages, et le rhabillage en mode « plage » quasi exigé. L’argument de ma fille était bien rôdé : « c’est très important maman, car tout le contenu pédagogique de l’année prochaine sera construit sur ce voyage… Si je n’y vais pas, je ne comprendrais rien en classe, et je serai la seule à rester »…   Alors, oui, j’ai cédé, et je lui ai dit que ce serait exceptionnel, que je ne pourrais pas refaire le même effort l’année suivante, qu’il fallait qu’elle en soit consciente. Et que son insistance, celle des professeurs, m’obligeait à restreindre toute une série d’autres postes du budget, mais pour qu’elle puisse en profiter, je l’ai fait de bon cœur. L’effort consenti était conséquent : la même année, son frère partait aussi en voyage, obligatoire lui aussi, aux Pays-Bas et en Angleterre. Avec une épargne dans les mois qui précédaient, pour pouvoir payer.

Mais pour ce voyage à Eurodisney, j’ai dit non. Non car c’est ahurissant, dans un monde où j’essaie de leur inculquer le sens des réalités, de leur faire prendre tout doucement la mesure du coût de la vie, de dépenser 170 euros pour même pas 48h de voyage vers une destination qui ne lui apprendra rien qui soit en accord avec cela.Et je suis triste, parce que pour le tiers de ce prix ils auraient pu faire un voyage à la mer de deux jours aussi, et faire tout autant le plein de souvenirs.

Il m’en coûte pourtant, Madame la Direcrice, parce que c’est la dernière occasion pour ma fille de faire un voyage avec ses camarades de classe, dont beaucoup quitteront votre école l’an prochain. Elle restera pourtant.
Il m’en coute parce qu’il y a trois jours, bien que j’ai expliqué mon refus de laisser B. participer à ce voyage pour des raisons financière, une personne de votre école m’a appelée, en insistant, me disant qu’il y avait un désistement, et que ma fille pouvait profiter de ce voyage , moyennant espèces sonnantes et trébuchantes, et que j’ai dû réexpliquer que c’était au-dessus de nos moyens.

Il m’en coute parce qu’un parent d’élève, informé par sa fille de mes difficultés, s’est proposé pour offrir ce voyage à Flore, généreusement. Et que je ne peux accepter parce que cela lui apprendrait quoi, finalement ? Et sera-t-il là pour payer le même voyage à ma plus jeune fille, quand dans deux ans, l'aîné sera à l’université et que nos moyens seront encore plus limités ? Où est l’équité ?

Il m’en coûte parce qu’il y a un mois à peine, ma fille faisait sa fête laïque, et qu’elle y jouait merveilleusement une Alice qui découvrait le monde des adultes, et décriait ces valeurs biaisées par l’argent, par le monde moderne et la société de consommation. Et qu’à peine un mois plus tard, les sirènes de ce monde lui font tourner la tête, et qu’elle en est la première victime, avec des projets aussi chers que celui que vous avez choisi de nous proposer.

Si vous saviez, Madame la directrice, comme il m’en coûte de devoir dire non à ma fille, et que ce sera à moi qu’elle en voudra de la priver de ce plaisir. Que si simplement, vous aviez opté pour un réel projet pédagogique, qui tienne compte de la réalité économique, de la crise que l’on sent cruellement quand on est parent isolé.

Mais voilà il m’en coûte, Madame la Directrice, de dire non à ma fille. Et je tenais à ce que vous le sachiez. Non pas pour que vous nous fassiez l’aumône. Mais pour que, peut-être, l’an prochain, au moment de choisir des activités, vous teniez compte de cette réalité que je vis aujourd’hui, et que des dizaines de parents rencontrent.

J’espère que vous mesurez un tout petit peu la crise qu’a déclenché  ce choix peu heureux de proposer un voyage de 36h à Eurodisney pour la somme de 170 euros. Je ne suis pas fière de cette situation, mais je tente de rester digne. J’espère, Madame la Directrice, que vous aurez à cœur de ne pas faire peser sur mes filles l’insulte d’un regard noyé de pitié, là où, malheureusement, il n’y a qu’une réalité des plus communes.

Avec mes salutations les meilleures, car c’est tout ce que j’ai à vous offrir,

Mme V.

___________________________________________________________

Courrier à la directrice, relatif au voyage à Poitiers.

Namur, le 20 juin 2013. 


Madame , 

A. est revenue ce jour avec une proposition de voyage scolaire à Poitiers en juin prochain. Ce document mentionne un voyage de trois nuits / quatre jours, pour un montant de 275 euros. 
N'y a-t-il pas une erreur de prix ? Cela me semble terriblement élevé. 
Vous le savez, les temps sont difficiles pour tout le monde, et avec trois enfants scolarisés dont un rentre cette année en supérieur, chaque dépense excessive met tout le budget familial en péril. 
D'ailleurs, 275 euros, c'est à peu de choses près le montant du minerval de mon fils en baccalauréat. Si je dois choisir entre le voyage et le minerval, je n'hésiterai pas une seconde. 
De plus, A.nous dit qu' "il suffit d'économiser 20 euros par mois."... Il suffit ? Merci pour cette formule malheureuse. 
Chaque mois, nous payons, pour A.uniquement, environ 60 euros de dîner, 17,5 euros de garderie, les frais scolaires, le matériel, et, bien sûr, le pédopsychiatre qui nous a été conseillé par le pms à concurrence de 75 euros par semaine remboursé 58. 
A votre avis, quelle dépense dois-je supprimer pour économiser 20 euros par mois ?

Il me semble fou, alors qu'il y a un an à peine, un voyage scolaire à Eurodisney pour un montant de 175 euros pour deux jours était sévèrement condamné par la ministre, la classe politique, la presse, et certains parents, à peine un an plus tard donc, vous proposiez sans hésiter un voyage à 100 euros de plus, pour aller ... au Parc Astérix ?

Dites, est-ce bien sérieux ? 

Je ne peux donc que conclure qu'il s'agit d'une erreur d'évaluation, et que celle-ci sera corrigée bien vite. 

Bien à vous, 


Madame V.
Maman d'A.
et fréquentant le XXXXX de Namur depuis 15 ans, 
et me demandant vraiment si mon salaire
est suffisant pour offrir l'école publique, prétendument gratuite, à mes enfants. 

________________________________________________

Deuxième courrier à la directrice, relatif au voyage à Poitiers.

Namur, le 21 juin 2013. 

Madame, 
En complément de mon mail, je me permets de vous envoyer cette brochure, éditée par les auberges de jeunesse. http://www.lesaubergesdejeunesse.be/IMG/pdf/LAJ_brochure_activites_groupes_2014.pdf
Vous y trouverez deux propositions de séjours, parmi des dizaines, à moins de 170 euros pour trois nuits et quatre jours, activités, encadrement, repas et transports compris. 
Mons (page 40) propose un superbe programme à vocation scientifique, en collaboration avec le PASS. à 149 euros par personne. + l'aller retour en train (maximum 10 euros par enfant) 
Bouillon (page 10) propose un séjour inspiré par son château et la thématique médiévale, qui serait également un écho parfait au cours des enfants, qui étudient ce moment de l'histoire. Ce séjour, de 5 jours coûte... 165 euros. 

N''est-ce pas tout aussi intéressant, en 6e primaire, de découvrir les richesses de notre région, à coût plus raisonnable ? 
Je suis certaine que d'autres formules existent, qui peut-être répondront aux légitimes aspirations de dépaysement des enfants et des enseignants, sans pour autant ruiner les parents. 

Bien à vous,